LE MAIRE DE BESSINES ET NAPOLÉON 1er
L’assèchement du Marais (le Golfe des Pictons) a réellement débuté vers la fin du Xe siècle sous l’impulsion des moines Bénédictins.
C’est un travail d’Hercule qui va durer des siècles, et s’il est facile de gagner du terrain par rapport à la mer, faut-il encore maîtriser l’envahissement des terres lors des grandes marées et aussi savoir canaliser les eaux d’amonts pour les envoyer vers la mer.
A la Révolution il ne restait au fond du golfe que 15.000 hectares non assainis. C’est ce que maintenant on appelle le Marais Mouillé, c’est à dire le marais qui inonde au moment des pluies lorsque la Sèvre déborde.
Vers 1800, la partie du marais non endiguée était complètement à l’état de marécage. Aussi Dupin, premier préfet des Deux-Sèvres, adressait il au Ministère de l’intérieur du moment un rapport où il disait : « La ville de Niort serait encore assez agréable à habiter, mais ce qui gâte tout, c’est la proximité (les marais : de Bessines, la Garette, Jumeau et Magné qui empestent l’air, sont infestés de moustiques et les habitants de cette contrée sont des pauvres êtres malingres, rongés par la fièvre quarte et la dysenterie ; ils sont si maigres, disait-il à la fin de son rapport. qu’ils n’ont même pas de gras de jambes. »
Qui dit terres, même marécageuses, dit aussi propriétaires. Et vers 1800 l’aménagement de ce territoire marécageux est l’objet de querelles (entre propriétaires, entre villages, et aussi avec les ingénieurs chargés des travaux).
Le 1er août 1807, la venue de Napoléon à Niort va débloquer la situation, lors de l’audience accordée aux maires des Deux-Sèvres, François Guibert, maire de Bessines, explique la situation à l’Empereur, s’exprimant en patois et alliant le geste à la parole, dit :
« les fossés n’y sont pas plus larges qu’une égaljambée ».
« Qu’est-ce qu’une égaljambée ? demanda l’Empereur ».
« Eh bien, Sire, voilà ce que c’est ». Guibert, très émotionné et joignant le geste à la parole, fit un pas en avant pour montrer ce qu’était une égaljambée et écrasa par mégarde la botte impériale de son gros sabot ferré ».
L’histoire est racontée par Briquet Hilaire Alexandre dans son livre « Histoire de la ville de Niort » :
Le 10 juin 1806, se fit l’ouverture du canal de La Rochelle à la Sèvre niortaise entre Rompsay et Terre-Nouvelle (1).
Dès 1740, on avait présenté, mais inutilement, au Conseil d’état ce projet de navigation intérieure, comme une source de richesses pour Niort et La Rochelle, soit en temps de paix, soit en temps de guerre. Ce canal devait servir à dessécher plus de cent mille arpens de marais, et à rendre salubre un pays presque inhabitable.
Cet utile projet fut reproduit par le Conseil Général des Deux-Sèvres dans sa session de 1800. On y représenta que le commerce et l’agriculture en retireraient les plus précieux avantages : les chanvres que la marine se procure à grands frais chez les puissances du Nord, croîtraient avec abondance dans cette partie du territoire enlevé depuis des siècles au commerce. Ce canal faciliterait le transport des bois nécessaires à la marine, et les grandes routes deviendraient d’un entretien moins dispendieux.
Deux ans avant l’ouverture de ce canal, avait été rendu le décret impérial, qui ordonne le desséchement du marais de Bessine, pour faire cesser les maladies auxquelles donnait lieu ce marais, et pour rendre à l’agriculture et à l’industrie une étendue de plus de quatre cents hectares de terrain, frappés d’une stérilité aussi longue que dangereuse. L’intérêt particulier et l’intérêt général paraissaient se réunir pour l’exécution de ce décret. La dépense nécessaire pour effectuer ce desséchement fut évaluée à 40,000 francs. Le préfet ne doutant point que cette somme ne fût promptement fournie par voie de souscription, comme l’indiquait le décret, prit, le 7 août, un arrêté par lequel il créa deux cents actions de 200 francs chacune. La souscription se trouva remplie et fermée, le 24 du même mois; mais un nombre considérable d’habitans de Saint-Liguaire et de Bessine en témoignèrent un grand mécontentement, et ils en portèrent plainte à l’autorité. Ils prétendirent que les actionnaires voulaient les dépouiller de leur propriété; qu’on leur avait dérobé jusqu’au 26 août, la connaissance du décret impérial et de l’arrêté du préfet, qui, l’un et l’autre, accordaient aux habitans de la commune de Bessine la préférence dans la distribution des actions. Le préfet, par son arrêté du 5 octobre, déclara qu’il n’y avait pas lieu à suspendre le desséchement. Les réclamans n’en continuèrent pas moins à s’opposer, par toutes sortes de moyens, à la paisible jouissance des actionnaires du marais. Le maire de Bessine, à l’aide d’un habile jurisconsulte et au nom des habitans, propriétaires et biens-tenans de Bessine et Saint-Liguaire, publia, en 1807, un long et savant Mémoire sous le titre de très humbles et très respectueuses supplications et remontrances, à S. M. l’Empereur et Roi, sur le décret impérial du 7 messidor an X11 (26 juin 1804).
Dans ce Mémoire on remonte au XIIe siècle (1170); l’on y rapporte des titres qui prouvent que la propriété des marais de la Sèvre était passée de la maison de Lusignan à l’ordre des Templiers, et de cet ordre à celui des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, ainsi qu’aux moines de Maillezais.
On y prouve que ces chevaliers et ces moines, sur la fin du XIVe siècle (1390), se dessaisirent de la propriété de ces marais, en faveur des habitans des paroisses et seigneuries riveraines de la Sèvre, auxquels ils accordèrent le droit de faire pacager leurs bestiaux sur l’étendue de tous ces marais, moyennant le cens et la redevance fixés par le pasquer de Sainte-Gemme, ce qui leur transféra la pleine propriété, et non pas seulement la propriété utile. Les réclamans citent en outre une foule de pièces, qui tendent à prouver que les moines de Saint-Liguaire accensèrent le marais de Bessine aux habitans de Bessine et de Saint-Liguaire. Ils soutiennent même qu’ils rapporteraient de nouvelles preuves de leur propriété, si les archives du département des Deux-Sèvres n’eussent été la proie des flammes.
Les actionnaires ne laissaient pas de répondre à leurs adversaires et leur opposaient les titres mêmes relatés dans leurs supplications. Ils prétendaient y trouver la preuve que le marais de Bessine avait été la propriété des moines de Saint-Liguaire jusqu’à la suppression des ordres religieux, époque où le gouvernement a succédé à leurs droits. Ils ajoutaient que l’utilité et l’urgence du desséchement de ce marais avaient été reconnues,
et par le Conseil général du département et par une délibération du Conseil municipal de Bessine; que le décret impérial était fondé sur ces deux pièces; enfin qu’ils avaient fait creuser plusieurs canaux de seize à vingt-cinq pieds de largeur dans ce marais, depuis qu’ils en étaient propriétaires.
Ces graves discussions se terminèrent par une scène comique, qui eut lieu à l’époque du passage de l’Empereur à Niort, le 7 août 1808.
Sa Majesté voulut alors s’occuper de la réclamation, qui lui avait été adressée par les habitans de Bessine, et qui contenait leur opposition au desséchement du marais de leur commune.
Dans l’audience que Napoléon donna aux maires des Deux-Sèvres, les princes dirent à Sa Majesté :
« Voilà un maire qui a des Mémoires à vous présenter. »
Guibert, maire de Bessine, s’avance avec des papiers sous le bras. Ce Sévrois, d’une petite stature et doublement boiteux, rappelait un peu le paysan du Danube, par sa figure et par son accoutrement singulier. Guibert était bien inférieur au Germain du côté de l’éloquence, mais il le surpassait peut-être en audace.
Il présente ses Mémoires.
« Monsieur Sire, dit-il, voilà ce que j’ai l’honneur de vous mettre sous les yeux, vérifiez les faits; si je vous en impose, ma tête est là pour en répondre. »
Napoléon prend les Mémoires de Guibert, les remet au prince de Neufchâtel, et dit :
« Ah! mon pauvre maire, racontez-moi donc votre affaire. »
Alors l’ingénieur en chef, Dumouceau, prend la parole :
« Sire, je m’en vais vous expliquer ce que le maire de Bessine veut dire. L’affaire est au Conseil d’état, et doit y être jugée. Et moi aussi, je juge, répond l’Empereur.
Sire, ajoute l’ingénieur, j’ai été chargé de diriger les travaux, et j’ai fait ouvrir des canaux d’une largeur et d’une profondeur considérables…»
Guibert, l’interrompant :
« Ce magistrat en impose, monsieur Sire, monsieur l’Empereur. »
A ces mots, un sourire moqueur parut sur tous les visages. Le préfet frappe sur le bras du paysan, et lui fait observer qu’on ne dit pas monsieur en s’adressant à l’Empereur.
« Laissez, laissez parler cet homme, dit Sa Majesté, il ne peut me manquer. »
Guibert, encouragé par ces paroles et par les gestes des princes, reprit sa phrase, et continua ainsi sans la moindre hésitation :
« Ne les croyez pas, monsieur Sire, ils vous trompent comme ils nous ont trompés. Des ambitieux ont commencé par gagner ce brave homme (il indique le préfet), ils ont trompé sa religion, monsieur Sire; ils lui ont fait accroire qu’un marais qui depuis plusieurs siècles nous a été accensé n’est pas notre propriété; ils lui ont fait accroire, monsieur Sire, qu’un marais qui nourrit 1,500 têtes de gros bétail et 4,000 moutons est un marais mouillé, pourri, perdu pour l’agriculture.
Voilà pourquoi la vérité n’a pu parvenir jusqu’à vous, monsieur Sire, et vous avez rendu votre décret du 7 messidor an XII.
Ils ont fait prendre un arrêté à ce brave homme (montrant le préfet) pour exécuter votre décret, monsieur Sire; et parce que dans ce décret et cet arrêté il y avait des articles qui nous étaient favorables, nos ennemis ne nous les ont laissé connaître que lorsqu’il n’était plus temps pour nous d’en profiter. Monsieur Sire, ils se plaignaient que l’air était empesté par nos marais, quand nous en jouissions paisiblement. Depuis qu’ils s’en croient propriétaires, ils nous ont fait interdire le parcours et pâturage pour tous nos troupeaux. Sans doute ils appellent cela purifier l’air. Que n’appellent-ils aussi humanité, l’entreprise d’ôter le pain à 1,200 de vos sujets ? Car si on nous enlève nos marais, on nous réduit à la mendicité. Ils parlent de dessécher des marais qui n’en ont pas besoin; ils osent même se vanter d’avoir creusé de larges canaux : des canaux ! ce ne sont que de misérables fossés, sans issues, qui ne me coûteraient pas une éjalambade (enjambée)… »
Le paysan de Bessine accompagna ces dernières paroles d’un geste imitatif, qui lui fit porter son soulier ferré presque sur le pied de l’Empereur.
Sa Majesté sourit en se retirant un peu en arrière, et dit à Guibert :
« Je vois bien qu’il faut que j’arrange cette affaire : le marais sera desséché, parce qu’il importe à l’intérêt de l’Etat qu’il le soit; mais j’en ferai les frais, et je le donne à la commune. »
Ce jugement fut accueilli par ces acclamations unanimes : « C’est parler en roi; vive l’Empereur ! »
(1) La partie entreprise s’étendait, au mois d’avril 1831, depuis La Rochelle jusqu’à la tète du canal de Tranche, en face de Saint-Ouen, sur une longueur de
treize mille sept cents mètres.
Il a été dépensé en totalité, jusqu’au Ier janvier 1831, 4,551,246 francs 40 cent.
La distance du point où le canal est parvenu auprès de Saint-Ouen, pour joindre la Sèvre à Marans , est d’environ deux lieues et demie. La distance du même point à la Sèvre, en suivant la direction sur Dampvix, est d’environ sept lieues et demie.
Source :
Histoire de la ville de Niort depuis son origine jusqu’au règne de Louis-Philippe Ier, et récit des événemens les plus mémorables qui se sont passés dans les Deux-Sèvres
Briquet Hilaire Alexandre
Site de la mairie de Bessines :
http://www.mairie-bessines.fr/html/empereur.php
L’histoire est racontée par Alphonse Farault :
Le Maire de Bessines devant Napoléon 1er 7 août 1808.
Saint-Maixent, impr. Ch. Reversé, 1896. In-8°, 12 p. (Extrait de la Revue poitevine et saintongeaise).
La « Revue poitevine et saintongeaise » doit être le volume 12, par Lacuve, 1895. Dont on entrevoit de cours extraits sur Google / livres, on mettant Guibert dans la fenêtre « recherche »
L’histoire est aussi racontée dans des journaux de l’époque
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Sur les registres d’Etat-Civil de Bessines, on trouve le 27 avril 1839, le décès d’un François Guibert qui pourrait être notre maire.
27 avril 1839
Décès de Franois Guibert, âgé de 72 ans
Né à Bessines
fils de Jean Guibert / Dillé Anne
Sont témoins, ses fils
– Jean, 51 ans, instituteur à Bessines
– André, 49 ans, journalier à Bessines
Guibert Jean François / Dislé Anne – Mariage le 23 octobre 1747 à Bessines
Fils de Jean / Gellé Jeanne
fille de Jean / Charre Catherine
Les Guibert sont originaires de Magné.
Remarque :
Mariage en 1747, et si François décède âgé de 72 ans, donc né vers 1767 : cela fait une naissance 20 ans après le mariage…
Anne Dislé décède le 23 septembre 1774, âgée de 48 ans, donc née vers 1726, elle aurait 41 ans en 1767.