Alfred Dorville, 16 ans, est un fils « de bonne famille », et il entreprend avec son frère appelé dans le récit « Dorville », un voyage dans toute la France. Ce frère aîné étant une sorte de tuteur, un « mentor ». On est en 1835.
« Ce que je veux maintenant, c’est que mon frère s’instruise eu s’amusant, je veux qu’en voyageant il apprenne à connaître les contrées qu’il parcourra, leurs villes et leurs habitans, les principaux traits de leur histoire, les monumens des arts, ceux de la nature. C’est ainsi qu’il peut utilement préluder à des études plus approfondies ou plus sérieuses. Les connaissances qu’il aura d’abord acquises lui aplaniront la route, et l’expérience qui sera le premier résultat de ses voyages, le conduira peut-être dans la suite plus sûrement que ne sauraient le faire des conseils qui ne seraient pas immédiatement appuyés sur des faits. »
Après avoir visité la Touraine, ils arrivent dans le Poitou, ils commencent par visiter la Vienne, Châtellerault et Poitiers, rencontrent un Niortais à Poitiers, avec qui ils font le trajet Poitiers-Niort et qui leur parle des Deux-Sèvres. Ce Niortais fait la part belle à sa ville, le reste du département, hé bien c’est pas terrible !!!!
CHAPITRE V
Maine et Loire ou Anjou – Indre et Loire ou Touraine – Vienne, Deux-Sèvres, Vendée ou l’ancien Poitou.
—Le département de la Vienne, le Poitou, pour mieux dire car les Deux-Sèvres et la Vendée offrent le même caractère, se compose de plaines, de coteaux, de montagnes rocheuses de bruyères et de marais. Ses campagnes, comme tu as pu déjà t’en convaincre produisent un nombre infini de noyers d’où l’on tire une grande quantité d’huile. Le bois de chauffage et de construction est commun dans quelques parages, rare en d’autres. Le gibier, le poisson, la volaille, n’y manquent point ; on y voit surtout des oies par troupes nombreuse. Les montagnes fournissent du fer, de l’antimoine du marbre, de la pierre à bâtir. Les naturalistes et les géologues y trouvent des pétrifications des coquillages marins, des bancs d’huîtres fossiles de trente pieds de profondeur où d’épaisseur et de plusieurs milles d’étendue.
D’un autre côté, le Poitou commerce en laines, en gros et menu bétail, en chevaux et mulets ; on en tire encore du lin, du chanvre, des peaux de chamois, des toiles, des serges, des lainages, du poisson frais et salé, de la bonneterie de la coutellerie, des cuirs, de l’angélique confite, et même des vipères qui servent à fabriquer la thériaque. Le Bas-Poitou jouit d’un meilleur sol que le Haut-Poitou ; mais il est exposé à voir souvent ses terres noyées.
Tout ce pays était autrefois habité par les Pictaves, qui formaient au temps de César, une des principales tribus celtes. Les Visigoths s’en emparèrent au cinquième siècle mais ils ne gardèrent pas leur conquête : les Francs, conduits par Clovis, vinrent la leur arracher. Alaric se défendit avec courage ; la fortune lui fut contraire. il périt dans les champs de Vouillé (1), de la main du prince franc. Cette province passa plus tard au pouvoir des ducs d’Aquitaine. La fameuse Éléonore de Guienne en rendit maître le roi d’Angleterre, Henri II, qu’elle épousa. Les Anglais retinrent le Poitou jusqu’au moment où Charles VII les expulsa du sol Français.
Alfred avait reconnu sans peine que son frère raisonnait juste ; mais il n’en fut pas moins choqué, en entrant dans Poitiers, de voir une grande ville presque déserte, mal construite, obscure, pleine de rues tortueuses, dépourvue de monumens et de beaux édifices. Il voulut voir, pour se dédommager, les restes d’un amphithéâtre romain, d’un aqueduc et d’un de l’empereur Gallien, surtout la promenade du Pont-Guillon, d’où l’on jouit d’un très-beau coup d’œil. Ensuite il entraîna son frère jusqu’à Pierre-Levée, dolmen de druides, à une demi-lieue de la ville. Mais la vue d’un bloc de pierre long de trente pieds sur dix-sept, posé sur quatre ou cinq piliers, ne parut pas trop le payer de la peine qu’il avait prise. Il sourit lorsqu’il entendit son frère lui dire d’un ton fort sérieux : cette pierre, suivant les uns, n’était qu’une pierre tumulaire des anciens Pictes ; d’autres en parlent comme d’un monument celtique. Les érudits poitevins ne s’accordent pas, et jamais sans doute ils ne s’accorderont, car chacun d’eux s’appuie de graves autorités. Pour moi, je ne pense ni comme les premiers, ni comme les seconds, Je ne m’en rapporte pas même à la légende, suivant laquelle ce fut Sainte-Radegonde qui éleva de sa main ce monument, et qui pour cela porta le gros bloc sur sa tête et les piliers sous son bras. Je suis de l’avis de Rabelais ce fut Pantagruel qui, revenant de la promenade, trouva cette pierre, la prit sous son bras et vint la placer tout près de la ville, afin que les étudians de l’Université pussent y banqueter à force flacons, pâtés et jambons.
Cette sainte Radegonde, continua Dorville, était fille du roi de Thuringe. Après le meurtre de son père elle devint la proie de Clotaire, l’un des fils de Clovis. Sur la fin de ses jours, elle se retira dans un cloître où elle mourut, en 590. Son tombeau en marbre noir est placé dans une crypte derrière l’autel de l’église qui lui est consacrée, sur une grande table de pierre que supportent de petits piliers.
Dans leurs diverses excursions autour de Poitiers, nos deux voyageurs virent en passant la petite ville de Lusiguan, auprès de laquelle on aperçoit les ruines du château dont les seigneurs donnèrent une race de rois à Jérusalem reconquise ; celle de Montcontour, où les protestans commandés par Coligny furent défaits par l’armée royale, que conduisait le duc d’Anjou ; Châtellerault, ville d’environ dix mille âmes, où l’on traverse la Vienne sur un très bon pont, industrieuse, connue par sa manufacture d’armes blanches, et surtout ses ateliers de coutellerie ; Loudun, tristement célèbre par le sacrifice d’Urbain Grandier, accusé et convaincu, dirent les juges, d’avoir ensorcelé les ursulines (2), et bien évidemment immolé aux vengeances du cardinal de Richelieu, contre lequel il s’était permis, dit-on, quelque épigramme un peu vive ; Civaux, à une demi-journée de la capitale, remarquable par son cimetière, où l’on voit un grand nombre de cercueils de pierre avec leur couvercle de granit, placés verticalement, et qui suivant M. Millin, remontent aux premiers temps du christianisme, Ils rentrèrent à Poitiers par Vouillé, où Clovis défit les Goths, où, trois siècles plus tard, Charles Martel arrêta les Arabes venus d’Espagne.
L’un des objets qui avait le plus excité la curieuse attention d’Alfred, c’était le monument de Montmorillon, petite ville sur la Gartempe. C’est un temple gaulois de figure octogone, à demi ruiné, enfermé dans l’enceinte d’un ancien couvent. Il forme deux étages. Celui du dehors est moins vaste que l’autre, parce que les murs, depuis le sol jusqu’au plancher, sont d’une épaisseur énorme. L’étage supérieur est éclairé par huit ouvertures, dont l’une sert de porte. Un tuyau cylindrique, long de vingt ou vingt-quatre pieds, traverse la voûte et laisse pénétrer quelques rayons de lumière dans l’étage inférieur ; un escalier pratiqué dans l’épaisseur du mur servait de communication entre les deux étages. Huit figures humaines grossièrement sculptées ornent le dessus de la porte. L’une de ces figures semble représenter une divinité, la seconde une prêtresse des druides, les autres des druides.
(l) A quatre lieues de Poitiers.
(2) En 1634.
—Le département des Deux-Sèvres paraît en général plus triste et moins fertile que celui de la Vienne ; aussi nos deux voyageurs ne firent-ils à Niort, qui en est le chef-lieu, qu’un séjour assez court. Les autres villes leur offraient trop peu d’intérêt pour qu’ils fussent tentés de les visiter. Ils se contentèrent de voir les environs de la capitale, et des renseignemens que leur fournit sur le reste un Niortais qu’ils avaient rencontré à Poitiers, et à qui Dorville avait offert une place dans sa chaise.
Vous verrez Niort, dit-il, je n’ai pas besoin de vous en parler ; je vous dirai seulement que, depuis quelques années, les habitans et nos administrateurs travaillent à remplacer par de nouveaux édifices les vieilles maisons qui encombrent notre ville de leurs ruines. Thouars, sur le Thouet, s’élève en amphithéâtre autour d’une colline de moyenne hauteur. Melle, sur la Boutonne, était jadis un pays de mines. Les rois de la première race y avaient un château. Il y a un singulier usage : tous les ans, le mardi de Pâque, les garçons, ou bacheliers, s’assemblent et procèdent en grande pompe à la nomination d’un capitaine de la bachelérie. L’élu est installé le dimanche de la Pentecôte. Cette association, au reste, n’a aucun but politique.
Saint Maixan, continua le Niortais, souffrit beaucoup dans les guerres de religion. Sa population, autrefois nombreuse, fut réduite à 5,000 âmes, et depuis elle n’a pas augmenté. On y vend beaucoup de mulets. Champ-de-Niers et Châtillon avaient autrefois des bachéleries ; on voit dans leur territoire plusieurs pierres-levées. Le plus remarquable de ces monumens est celui du bois de Simelonge. On a trouvé à l’entour beaucoup d’ossemens humaines. Parthenay, Saint-Loup, Bressuire, n’ont absolument rien de remarquable. Seulement, je dirai que Saint-Loup a quelque droit à une mention. Voltaire était originaire de cette bourgade ; son père y était né, et il existe encore dans la contrée des Arouet issus de la même famille.
Nos voyageurs arrivaient à Niort au moment où le Niortais finissait ; ils remarquèrent plusieurs rues larges et bien alignées et d’assez belles maisons, une église gothique construite par les Anglais, une fontaine abondante, dite du Vivier, qui doit ses eaux à un puits artésien, une bibliothèque publique ; les bâtimens qui ont remplacé depuis très peu de temps l’hôtel-de-ville, autrefois demeure d’Éléonore de Guienne ; deux ou trois tours qui ont servi longtemps de prisons reste de l’ancien château. Un de ces donjons a vu naître la fameuse Françoise d’Aubigné, qui, réduite à l’indigence par les malheurs de sa famille, se trouva heureuse de pouvoir devenir l’épouse de Scarron, et qui, par un étrange caprice de la fortune, de veuve du poète devint femme de Louis XIV, sous le titre modeste de marquise de Maintenon.
Les alentours de Niort sont agréables ; la végétation y est forte et vigoureuse. Dorville mesura un tilleul dont le tronc avait environ quinze pieds de diamètre, et dont les branches, disposées et dirigées avec art, ont l’apparence d’autant d’arbres qui tous sortent d’un tronc commun : c’est une espèce de bois aérien porté sur une seule tige.
Les gens de la campagne, dans le département des Deux-Sèvres, paraissent aimer les distractions et l’amusement. Tout le temps de la moisson est pour eux temps de fête ; les jeux les délassent de leurs travaux. A la Toussaint, fêtes nouvelles ; on allume le brazillet, c’est-à-dire des feux champêtres, pour faire cuire des châtaignes. A la Saint-Jean, ce sont des feux de joie auxquels, pour l’ordinaire, c’est le curé du village qui attache le feu ; durant tout l’été, ce sont des danses ou ballades, qui ont lieu aux fêtes patronales des villages. Les foires sont encore une occasion de réunions et de divertissemens. Au fond, l’habitant des plaines a plus de bienveillance et de franchise que le montagnard ou que l’habitant des marais. Celui-ci, vivant de chasse et de pêche, accoutumé à la solitude, est sombre, taciturne, un peu sauvage le paysan des montagnes est soupçonneux, méfiant, attaché à ses habitudes et aux forêts qu’il habite.
—Les deux frères entrèrent dans la Vendée par Fontenay. Les Vendéens, dit Dorville, ressemblent aux habitans des Deux-Sèvres ; seulement ils sont en général de plus petite taille et ils paraissent moins robustes. Ce sont là pourtant les hommes qui en 1793 et en 1832, soit par attachement opiniâtre à leurs anciennes habitudes, soit par dévouement à l’ancienne monarchie, se sont mis en révolte ouverte contre le gouvernement adopté par le reste de la France, ont soutenu par les armes l’insurrection qu’ils regardaient comme un devoir, et, malgré de sanglantes défaites, ont persévéré avec une inébranlable constance dans le parti qu’ils avaient embrassé.
Fontenay, peuplé de 7 à 8,000 âmes, est la plus grande ville du département, quoiqu’elle n’en soit pas le chef-lieu. Dans l’origine, elle ne se composa que de quelques cabanes de pêcheurs ; le comte de Poitou y fit construire un château ; bientôt après le château s’entoura de maisons. Plus tard, la population augmentant, on construisit des faubourgs : ils sont aujourd’hui aussi considérables et mieux bâtis que la ville, qui n’offre rien de remarquable que sa flèche, qui a 294 pieds de hauteur. Ce fut d’un couvent de cordeliers de Fontenay que sortit le fameux curé de Meudon.
En passant à Luçon, nos voyageurs virent le canal qui va de cette ville à la mer, et l’écluse par laquelle les eaux s’y introduisent au moment du flux. Ils traversèrent ensuite la ville d’Olonne ou des Sables d’Olonne, où les habitans, dont on porte le nombre à 5,000 parviennent presque tous à un âge très avancé, ce qu’ils doivent sans doute à l’air pur qu’ils respirent ; on ajoute qu’ils sont espagnols d’origine : leur teint basané semble donner quelque poids à cette assertion. Arrivés sur le soir à Bourbon-Vendée, ville moderne, bâtie sur l’emplacement de la Roche-sur-Yon, les deux frères eurent encore le temps de voir les promenades et quelques édifices assez beaux ; mais ils trouvèrent les rues et les places presque désertes. Cette ville construite pour une population présumée de quinze à vingt mille habitans, en renferme tout au plus quatre mille, et il n’est guère probable qu’elle prenne beaucoup d’accroissement à cause de sa situation loin de la mer et des rivières navigables. Napoléon y avait fait exécuter la plupart des travaux qu’on y remarque. Il voulait pacifier la Vendée après l’avoir soumise par les armes. Le meilleur moyen c’était d’y jeter une colonie, et d’attirer les naturels autour d’elle, en répandant sur eux, des bienfaits. Le département de la Vendée se divise en trois parties bien distinctes : le marais qui comprend tout le littoral et qui produit d’excellent grain ; la plaine, d’où l’on tire des grains et des légumes de toute espèce ; le bocage, tout entrecoupé de haies, de vergers, de bois de vignobles, de collines, de ravins. La plaine est exclusivement réservée pour la culture des terres; le marais nourrit de superbe bétail dans ses pâturages on en tire des roseaux pour couvrir les chaumières ; la côte fournit des sardines, les salines donnent beaucoup de sel. Les terrains couverts abondent en gibier ; mais après les pluies chaudes de l’été on y trouve beaucoup de vipères et d’autres reptiles malfaisans.
Il y a plusieurs îles sur la côte de la Vendée. La plus considérable est celle de Noirmoutier, dont le sol d’une extrême fertilité mais plus bas que le niveau de la mer, exige des habitans des travaux continuels. Une digue d’environ douze mille toises de longueur s’oppose aux envabissemens de la mer, et chaque jour encore on travaille à la consolider.
Alfred ou le jeune voyageur en France. Ouvrage dédié à la jeunesse. Par M. de Marlès. Auteur des Merveilles de la nature et de l’art dans les cinq parties du monde, de de l’Histoire des Arabes en Espagne, de l’Histoire générale de l’Inde, etc.
Paris, Didier, libraire-Editeur, 1835.
Jules Lacroix de Marlès est un écrivain catholique et historien français du XIXe siècle. Il est l’un des principaux rédacteurs de l’Encyclopédie Catholique. (Wikipédia).
Ce voyage en Poitou est commenté dans :
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